Mutation

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En latin, le terme de transformatio est synonyme à la fois de transformation et de métamorphose (c’est à dire de l’ensemble des mutations qui affectent une chose, qu’elles soient partielles ou totales). Le terme metamorphosis, calque du grec μεταμόρφωσις, est pour sa part  peu utilisé en latin, ou dans sa variante française, avant le XIVe siècle où il se rattache toujours à l’œuvre d’Ovide. On lui préfère dans les textes le terme de mutatio qui recouvre l’ensemble des processus de changement de forme ou de nature, qu’ils soient progressifs ou non. La diversité et l’ambiguïté de la terminologie relative à la métamorphose indique, par ailleurs, la complexité que présente, pour la pensée médiévale,  l’existence du phénomène : la capacité à la mutation est un trait caractéristique de la matière du monde, mais se heurte  à la catégorisation ontologique du monde et du Vivant.

L’idée de mutation est au cœur des processus à l’œuvre dans le monde : chez les théologiens qui interrogent les catégories, dont Hugues de Saint-Victor (De sacramentis fidei chritianæ), l’acte créateur de Dieu est en soi un processus de transformation qui se décline en différents modes opératoires, dont certains sont accessibles à l’homme (l’assemblage, l’accumulation ou la séparation de parties qui préexistent et perdurent ensuite) tandis que d’autres ne peuvent se produire qu’en étant affectés par la puissance divine, directe ou déléguée. L’aptitude à contraindre une chose à la mutation est un pouvoir divin qui s’exprime à travers différentes modalités (l’acte créateur, le miracle, la spiritualisation) et qui est également inscrit dans la structure même de la Création, qui connaît des cycles de mutation et de transformation inscrites dans la loi naturelle. En outre, la transformation est un pivot de la pensée chrétienne médiévale, puisqu’elle s’opère de façon paradigmatique lors du sacrement eucharistique, dont la nature et les mécanismes sont l’objet de débats tout au long de la période.

Avant la fin du XIIe siècle, la mutation est le plus souvent envisagée, non pas comme un remplacement mais comme une évolution ou un développement, une altération de l’apparence ou d’un mode d’existence : comme saint Augustin l’a largement développé dans son De genesi ad litteram, toute mutation est en germe dans la chose première, impliquant que son développement suive le déploiement d’une structure intérieure et d’un plan préétabli, ce qui, de fait, constitue les caractères ontologiques de la chose en question telle qu’elle s’inscrit dans le temps. C’est l’idée qui sous-tend l’orientation de tout mouvement, qu’il soit positif lorsqu’il s’opère de façon spontanée ou qu’il s’opère à rebours dans le cadre du miracle : le corps guérit en reprenant sa configuration première. Un changement de paradigme s’opère dans le courant du XIIIe siècle. Il conduit à une pensée de la mutation comme remplacement d’une entité par une autre au cours d’un processus graduel qui admet la disparition totale de l’entité première [#BIBLIO ?]. Cette époque voit l’introduction de nouvelles propositions sur la transformation eucharistique, où l’espèce perd ses qualités premières pour acquérir une substance autre.

La notion de mutation peut se décliner selon plusieurs axes qui qualifient la distance entre l’état premier de la chose transformée et son état final, mais aussi la profondeur de la transformation (depuis le champ du perceptible jusqu’au champ ontologique), la réversibilité de la transformation, et enfin sa temporalité et sa durée.

La mutation est une altération quand elle aboutit à la dégradation de l’état d’un corps ou d’un être par la perte de ses qualités substantielles premières. A l’inverse, les processus de spiritualisation qui permettent à l’Homme de retrouver des qualités substantielles perdues après la Chute se caractérisent également comme des transformations ontologiques.

Ces mutations s’exercent principalement sur la matière : celle-ci, malléable et de nature passive, peut être affectée dans sa nature même par les miracles et par les sacrements qui agissent sur sa substance et sur son apparence. La matière possède également ses propres dynamiques de transformation, inscrites dans sa nature par les lois divines : ces mutations naturelles rendent visibles des cycles ou des mécaniques de transformation spontanées, mues par une sorte de « moteur intérieur ». La mutation au sens de transformation plastique et substantielle de la matière opérée par l’homme)  dans le monde, sur le modèle de l’acte démiurgique fondateur, est également un acte de création, car il agit sur les propriétés de la matière et du monde .

Enfin, la mutation s’inscrit dans une dimension temporelle quand elle affecte l’ensemble de la création sous la forme de l’accomplissement providentiel qui témoigne des dynamiques internes des communautés et du monde sous l’effet de la Grâce.


Rédaction

Marion Loiseau / Direction scientifique : Sébastien Biay, Isabelle Marchesin


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Marion Loiseau / Direction scientifique : Sébastien Biay, Isabelle Marchesin, « Mutation » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 21 novembre 2024, https://ocmi.inha.fr/s/ocmi/item/788