Projet
Les images ont tenu dans l’Occident médiéval une place paradoxale. On leur reconnaissait une capacité performative, c’est-à-dire la possibilité d’agir sur l’humain et de le rapprocher du divin, mais elles n’étaient pas équivalentes au sacré, car le divin ne peut jamais être réduit à des représentations. Les images n’existaient qu’en relation avec les objets ou les supports qui les présentaient, pour constituer des œuvres qui appelaient le regard attentif ou prolongé des croyants. Elles occupaient une place majeure dans l’environnement visuel et la vie des médiévaux, sans être ni banalisées ni adorées. Aucune matière, aucune couleur, aucun ornement, même modeste, n’étaient assez beaux pour rendre hommage à Dieu et à ses saints. Les histoires, les allégories figurées dans la pierre et les livres, sur les murs, les vitraux, les objets ou les étoffes, entendaient donner vie à ce que la Parole enseignait. Plus encore, traduire par l’image les vérités chrétiennes fut, au sein des établissements religieux, avant l’essor des métiers d’art dans les villes, un authentique acte de foi et de connaissance. On ne trouvera dans l’Ontologie du Christianisme Médiéval en Images (OMCI) ni l’évocation d’un Moyen Âge pittoresque, ni un catalogue d’images pieuses. Il s’agit de plonger avec lui dans une lecture du monde étrangère à notre présent, de regarder une société ancienne à travers les lunettes de ses catégories de pensée, et de saisir, au moyen des innombrables images qui nous sont parvenues, l’ontologie, c’est-à-dire l’ordre sous-jacent du monde, par lequel la civilisation de l’Occident médiéval peut être reconnue comme nulle autre. Il revient au pouvoir de l’image de donner accès par des saisissements visuels à des concepts parfois complexes. L’OMCI vise une indexation qui n’est pas celle des bases catalographiques mais qui déploie les images elles-mêmes et permet d’approcher l’art médiéval avec un autre regard. Elle se veut l’écho de l’approche anthropologique du Moyen Âge proposée par les historiens.
Positionnement scientifique
La pratique d’analyse développée dans cette encyclopédie numérique diffère de l’analyse d’image que l’on appelle communément iconographie : identification, comparatisme, sérialité, opérés dans un rapport étroit avec les traditions littéraires des commentaires bibliques et les évènements historiques. L’OMCI approche d’abord l’image sur un plan formel et matériel, et vise à faire remonter, par-delà la surface narrative et les symboles conventionnels, l’essence des choses, c’est-à-dire ce qui, pour la culture chrétienne, atteste de la volonté et de l’activité du Créateur du monde.
Cette pratique analytique considère aussi que les œuvres d’art sont sociales, qu’elles ont une logique de communication, au même titre que la parole, le corps, le texte ou le rituel, avec lesquels elles interagissent sans perdre leur autonomie. Chaque image (ou groupe d’images) portée par une œuvre a un plan d’intention et des outils visuels qui lui sont propres, tout en étant ancrée dans des traditions. Chaque image (ou groupe d’images) est aussi le fruit des connaissances et des modèles de représentation du monde des artistes/artisans qui créent les œuvres ainsi que des personnes qui les commandent. Cet univers culturel et scientifique constitue l’épistémè médiévale, le contexte de création et de perception originel des images. Il doit être convoqué par l’historien lorsqu’il cherche à comprendre les formats d’exposition de l’image et les contenus signifiés.
Auctorialité
Sans les travaux scientifiques antérieurs sur la signification et les pratiques de l’image médiévale, notre modèle analytique n’aurait pu voir le jour. Il complète l’existant par un questionnement centré sur l’ontologie chrétienne. La bibliographie apparaît ainsi en deux occasions. Les références présentes dans le volet latéral des introductions aux rubriques posent les bases historiographiques de nos travaux ; elles visent à établir les concepts théologiques et anthropologiques identifiés dans les images, et guident le lecteur vers un approfondissement des questions abordées. Complétant cette bibliographie générale, sont cités dans le corps du texte les auteurs qui ont déjà travaillé les notions que nous abordons ou qui ont déjà étudié les images que nous présentons sur le plan de l’ontologie.
L’ensemble de l’équipe produit de manière collaborative l’architecture intellectuelle, les choix d’images et la trame des textes et des analyses ; certains d’entre nous sont plus directement impliqués dans la rédaction et la supervision des textes, comme la fiche d’auctorialité l’indique au bas de chaque page.
L'objet numérique
Temps 1 : la création du modèle et les premiers pas
Dès le départ, l’OMCI a été conçu par Isabelle Marchesin, conseillère scientifique pour l’histoire de l’art médiéval à l’INHA, comme un objet à la fois scientifique et numérique. Les contraintes de développement de programmes au sein du Département de la recherche étaient multiples : créer un programme de recherche innovant ; créer un modèle exportable ; respecter le principe de subsidiarité et d’utilité publique ; associer les doctorants et participer à leur formation ; être utile à la politique documentaire et numérique portée par le Département de la bibliothèque et de la documentation de l’INHA ; contribuer enfin à alimenter la plateforme de bases documentaires de l’INHA, AGORHA.
Sur la base de sa recherche personnelle sur le niveau de lecture ontologique des images médiévales, Isabelle Marchesin a modélisé une structure hiérarchique à trois niveaux, dont l’enjeu était de mettre en regard les concepts généraux, les Rubriques, et les images, les Motifs, pour que de cette rencontre entre concepts et objets, émerge un nouveau lexique analytique : les Thématiques iconographiques. Celles-ci forment un niveau d’indexation alternatif aux thésaurus existants et se présentent comme un vocabulaire contrôlé constituant une nouvelle ressource pour le numérique.
Deux équipes ont travaillé en parallèle et de façon articulée. La première était composée d’historiens de l’art : Annamaria Ersek, Vicenzo Mancuso, Isabelle Marchesin, Louise-Elisabeth Queyrel, Mareva U, masterants et doctorants chargés d’étude et de recherche, et Ambre Vilain, pensionnaire du domaine. Cette équipe a élaboré, deux années durant, une liste de concepts théologico-anthropologiques qui, après consultation de spécialistes en théologie (François Boespflug en premier lieu), a été plus ou moins arrêtée à celle que nous utilisons aujourd’hui ; l’équipe a aussi opéré une vaste recherche d’images susceptibles d’éclairer les thématiques et a isolé, au cours d’un séminaire hebdomadaire, un premier corpus-test décliné sous la forme d’une maquette-blog (Rubrique « Âme », réalisée par Maréva U sous WordPress). Les images ont par ailleurs été classées et taguées dans un tableau Excel, et la bibliographie organisée sous Zotero.
Parallèlement à la recherche historique, le groupe d’historiens de l’art a travaillé avec une seconde équipe composée de documentalistes et d’ingénieurs appartenant au Service numérique de la recherche de l’INHA. Ensemble, ils ont établi un langage d’indexation systématique (Pierre-Yves Laborde), le choix de vocabulaire contrôlé ayant été arrêté uniquement pour les Thématiques iconographiques (c’est-à-dire le lexique inédit) et non les motifs (qui ne fonctionnent que comme des exemples parmi d’autres possibles) ; ils ont aussi listé les spécifications du futur site, et commencé à en dessiner la structure (Gautier Auburtin). Assez rapidement, s’est fait jour l’utilité d’établir, en plus des liens hypertextes, des relations sémantiques structurées entre les thématiques.
Temps 2. La réalisation concrète de l’OMCI en ligne
L’équipe a évoluée avec l’arrivée de Sébastien Biay comme pensionnaire du domaine et le projet a été dynamisé par l’entrée en lice d’Antoine Courtin à la direction du service numérique de la recherche.
La fabrique de l’objet éditorial a été organisée et mise en œuvre de sorte à faire travailler de façon efficace les doctorants. Le mode opératoire de l’équipe suivante a été rigoureusement pensé et les tâches distribuées (Sébastien Biay, Marion Loiseau, Pierre-Marie Sallé, Marjolaine Massé, Isabelle Marchesin). En général, un seul chercheur est responsable d’un concept (Rubrique), mais son travail est parfois prolongé par une réécriture. Toute la production écrite est discutée en séminaire, les définitions de rubriques, les thématiques comme les études des motifs. Une grande attention est portée au lexique des thématiques, la partie la plus innovante de l’OMCI.
Le travail collaboratif entre l’équipe des médiévistes et le service numérique s’est prolongé avec la mise en place de l’objet numérique qui, après plusieurs expérimentations de différents outils existant (omeka, Scalar, etc.) fut développé à l’aide du CMS (content mangement system), OMEKA-S. En effet, notre production s'inscrit dans le concept d'éditorialisation de Marcello Vitali-Rosati [2016], décrivant l'ensemble des dispositifs qui permettent la structuration et la circulation du savoir : processus internes, logique de work in progress entre les équipes pluridisciplinaires, mise en place d’outils/plateformes et, en conséquence, expérimentation des contraintes et des avantages d'un dispositif socio-numérique. Le service numérique de la recherche a été accompagné dans l’intégration et la création du plugin dédié au projet par la société Sempiternelia et par son fondateur Daniel Berthereau.
L’objet numérique conçu collaborativement par Antoine Courtin et Sébastien Biay est une forme éditoriale parfaitement en accord avec l’épistémologie du projet scientifique, pensée à son origine pour être déployé en ligne. La volonté de cartographier l’univers notionnel du christianisme médiéval tout en créant un maillage sémantique à partir de ces notions devait trouver une forme éditoriale, un modèle numérique et encyclopédique, qui puisse permettre à l’utilisateur d’entrer dans l’ontologie du christianisme médiévale en image.
Il était important pour l’équipe du projet de faire de l’OMCI, un object hybride conciliant un espace éditorial mais également un espace dit data oriented, permettant de l’inscrire dans un éco-système de données ouvertes et liées, de respecter des standards. Leur cœur de l’ontologie sont des items respectant les principales propriétés du SKOS ou Simple Knowledge Organization System (« système simple d'organisation des connaissances ») qui est une recommandation du W3C publiée le 18 août 2009 pour représenter des thésaurus documentaire, classifications ou d'autres types de vocabulaires contrôlés ou de langages documentaires. S'appuyant sur le modèle de données RDF, son principal objectif est de permettre la publication facile de vocabulaires structurés. Pour les subtilités du projet, et notamment tous les maillages sémantiques, des propriétés de relation sont portées par une ontologie propre à l’OMCI.
Temps 3 : éditorialisation finale
Dans sa phase actuelle, la conduite du projet est portée conjointement par Mathieu Beaud et Isabelle Marchesin, avec une équipe de doctorants constituée de Mecthilde Airiau, Marjolaine Massé et Nicolas Varaine. Tous les membres du groupe rédigent dorénavant les Rubriques, discutées dans le séminaire puis corrigées par les encadrants avant d’être mises en ligne sur le site de l’OMCI. Le projet devrait être achevé à l’été 2022.
Pour en savoir +
« Sébastien Biay, Antoine Courtin, Isabelle Marchesin, « L'OMCI - Ontology of Medieval Christianity in Images - de l'INHA. Une encyclopédie par l'image », Archeologia e Calcolatori, Supplemento, 10, 2018, 2018, 29-47 ».
Télécharger le support de présentation sur les aspects techniques : Concilier la structuration et l’éditorialisation : le challenge de l’objet numérique de l’OMCI