Ré-ordonnancement

Motif iconographique

Le Christ en Croix vêtu d’une tunique pourpre impériale, nimbé, couronné et portant une étole sacerdotale d’or, occupe la partie supérieure de la page. Il est écrit dans la mandorle supérieure, en capitales d’or : « La sagesse du Père (Sapientia Dei), le Christ Tout-Puissant (omnipotens), a par la citadelle (arx) de la Croix vaincu le Royaume des morts (Herebus), le monde (Cosmos) et le diable (Diabolus) ». Présenté dans son éternité en étant flanqué de l’Alpha et de l’Oméga, il est source de la lumière véritable, le « Soleil de justice » (Sol iustitiae) selon l’inscription qui accompagne les personnifications des astres se voilant le visage dans les cartouches des angles supérieurs. 

Sur cette page, la victoire de la Sagesse de Dieu se donne à voir comme une harmonisation qui prend la forme d’un diagramme musical placé sous les bras de la Croix. Celui-ci est composé à partir des mots MORS (mort), MUNDUS (monde), INFERNUS (enfer) et PLINTESPILON (terme conçu à partir du grec pour évoquer l’accomplissement du monde), soit deux concepts négatifs inscrits en rouge et dont les caractères sont reliés par une croix, et deux autres concepts inscrits en noir. Au-dessous de chaque mot sont indiqués en chiffres romains le nombre de lettre qui le composent (respectivement IV, VI, VIII et XII) et leurs propriétés numériques au sens pythagoricien. Tous sont enfin reliés par des inscriptions qui évoquent les proportions musicales que produit le rapport de leurs propriétés mathématiques : Diapente (pour une quinte de 2/3), Diatessaron (pour une quarte de 3/4) et diapason (pour une octave de 1/2). [A. Cohen, 2000]

Ce diagramme suggère le ré-ordonnancement du cycle mortifère qui régissait le monde avant l’instauration de la Loi du Christ. C’est la thématique qu’affiche le registre du pied de la Croix, inscrivant dans une mandorle deux personnifications : la Vie (Vita), couronnée et vêtue d’une chasuble cléricale, et la mort (Mors) encombrée de haillons, sa lance et sa faucille meurtrières neutralisées. Conformément à l’inscription courant sur la bordure de cette seconde mandorle, « La Croix est la destruction de la Mort, la Croix est le renouveau de la Vie ». Vita se tourne vers le Christ en position d’orante, partageant avec lui le vêtement sacerdotal brocardé d’or ; Mors est contrainte de sortir de la bordure de la mandorle, mordue par un bourgeon surgi de la Croix. Le bois de Vie rompt le cycle mortifère en place dans le monde, tout comme il neutralisait MORS et INFERNUS dans le diagramme musical, pour instaurer un cycle vivifiant dont la source première est le bois de la Croix.

Ce cycle de vie s’instaure dans l’Église, qui est représentée dans le semi-médaillon de gauche, et vers laquelle le crucifié porte son regard. Vêtue et couronnée comme Vita, mais nimbée comme le Christ, sa tête est surmontée d’un calice d’or la présentant comme la gardienne du sacrement de la Vie, lequel était promis par le signe de la résurrection des patriarches figurés dans le cartouche de l’angle inférieur gauche. Synagogue, elle aussi en vêtements sacerdotaux, occupe le semi-médaillon droit et porte le couteau de la circoncision et le rouleau de son Testament. Elle se détourne du Christ, aveuglée par la bordure du cadre qu’elle semble quitter pour accompagner le mouvement de Mort. Dans le cadre inférieur droit, le Voile du temple se déchire pour annoncer la fin de la fonction du Temple à l’instant où le Christ Sapientia Dei investit le monde. En synthèse, à la droite du Christ sont associés Église, Vie et Prophètes qualifiant la vie éternelle ; à la gauche du Christ sont associés Synagogue, Mort et destruction du Temple pour évoquer la nécessité de l’entrée du Sauveur dans le monde. 

Le Christ omnipotent, cumulant pouvoirs royal et sacerdotal en tant que « Grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech » (Hé 5, 6), réconcilie le monde en sa personne, en diffusant la sagesse éternelle de Dieu par la Croix qui ré-ordonnance le monde selon la Nouvelle Loi.  un ordre plus vaste. Les morts sortant des tombes, quoique faisant partie du récit de la Passion, signifient le retour à la vie dans le règne de l’Église.   


Rédaction

Marion Loiseau (avec la participation de Mathieu Beaud) / Direction scientifique : Sébastien Biay, Isabelle Marchesin


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Marion Loiseau (avec la participation de Mathieu Beaud) / Direction scientifique : Sébastien Biay, Isabelle Marchesin, « Ré-ordonnancement » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 21 novembre 2024, https://ocmi.inha.fr/s/ocmi/item/792