Amour

Rubrique

Le terme français « amour » qui a été choisi pour cette Rubrique a pour origine le mot latin amor (erôs en grec), qui recouvre, comme lui, les sentiments de l’attachement, du désir ou de la passion. Au Moyen Âge, ce champ de l’attachement est christianisé, constitué d’une série de vocables qui renvoient autant au monde terrestre qu’au monde spirituel : amor, caritas, dilectio, amicitia. Les traductions françaises de ces mots, plurielles, rendent compte de l’attention très singulière que le christianisme accorde aux sentiments : miséricorde, amour, compassion, bonté, clémence, tendresse, amitié, grâce ou encore piété. Puissance essentielle dans la vie des chrétiens, cet amour relève donc de la théologie et détermine la juste relation à Dieu et aux autres.

L’amour de Dieu est omniprésent dans la Bible, recherche de Dieu dans l’Ancien Testament, tout particulièrement dans les psaumes ; rencontre aimante avec Dieu dans le Nouveau testament, puisque Dieu connaît et s’y fait connaître : « si quelqu’un aime Dieu, celui-là est connu de Dieu » (I Cor, 8, 3). Le désir et l’attachement charnels sont également présents dans l’Ancien testament, positivement reçus dans le cadre de la fertilité et de la maternité qui y occupent une place centrale, mais sanctionnés dans le cadre du désir indu, tel celui de David pour Bethsabée. La procréation est en revanche mise à distance dans le Nouveau testament, qui valorise une fécondité plus spirituelle et plus universelle (par exemple, Lc 6, 44-45), survalorise l’amour christique pour l’humanité et exige qu’il soit vécu par les humains entre eux (par exemple Ep 3, 14-19). Le christianisme est en effet une religion qui se comprend elle-même comme fruit d’un acte d’amour : le rachat des péchés et le don de la vie éternelle. Dans la vie chrétienne, cet amour occupe la place d’un pivot ; faire acte d’amour, c’est rendre compte de la présence active de Dieu dans le monde, attester de l’Alliance avec lui, suivre le schéma de la loi divine renouvelée par le Christ, où l’amour peut prendre la place de l’obéissance puisque s’étant fait connaître, Dieu peut être aimé, et à travers lui, toutes ses créatures. C’est ce que développent les Évangiles : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 34-40) ; « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour est né de Dieu, et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. En ceci s'est manifesté l'amour de Dieu pour nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui. En ceci consiste l'amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés. Bien-aimés, puisque Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres […]  Si quelqu’un dit : ‘J’aime Dieu’, alors qu’il déteste son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous avons reçu de lui : que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère » (1 Jn 4, 7-21).

Chez saint Augustin, l’amour est posé en deux polarités fortement antagonistes. Le péché est lié à l’amour des corps, ce désir qui porte l’attachement de l’humain à lui-même et lui fait oublier Dieu ; cet amour terrestre désordonné est distingué de l’amour de Dieu dans les Confessions, et posé comme son antonyme radical et historique dans la Cité de Dieu, XIV, 28 : « Deux amours ont fait deux cités :  l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre, et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste ». Dans le De Trinitate, Augustin oppose l’amour vrai à la passion (VIII, 7) et explique aussi que la source de tout amour est Dieu, et que c’est cet amour placé dans l’âme qui conduit l’humain à rechercher ce qui est bon et à rechercher l’union à Dieu (livre IX). Chez Thomas d’Aquin, s’inspirant de Cicéron, la définition de l’amour se fait plus typologique. Elle est composée de l’amor concupiscentiae, un amour de convoitise, pulsionnel et sans raison, et de l’amor amicitiae, qui est un mélange d’amor caritas et de dilectio. L’amor amicitiae compris comme dilectio se rattache à l’amour spirituel, l’amour pur et pieux pour Dieu et en Dieu, c’est-à-dire pour Dieu et ses créatures, et à partir du soi comme image de Dieu. Pour la culture médiévale, la caritas est enfin la plénitude de l’âme aimante qui permet l’établissement du lien social [A. Guerreau-Jalabert, 1996], un amour tout aussi important que la dilectio, qui vise la concorde et la paix, et s’exprime sous la forme de rituels et de comportements.

Dans le récit de la Genèse, l’amour de Dieu est insufflé dans son acte de création de l’humain et dans la bonté qu’il a envers Adam et Eve. Agissant par le Verbe et émanant de l’Esprit saint qui lie les trois hypostases dans la Trinité, cet acte d’amour fondateur est dispensateur de vie et de concorde. Dans un premier temps de l’histoire sainte, Dieu engage son dialogue par le biais de ses commandements, et c’est sur la base d’un amour exclusif que se noue l’Alliance entre Dieu et le peuple qu’il s’est choisi, puis entre Dieu et l’humanité. Le lien d’amour est aussi celui qui unit les deux premiers humains, conçus comme des alliés indéfectibles. Adam comprend qu’Ève, chair de sa chair (Gn 2, 23), lui est destinée, et Dieu scelle entre eux un lien d’amour qui est médié en lui. Cet amour-lien, reposant sur la notion d’union en Dieu, est aussi la caritas qui fonde l’union fraternelle au sein des communautés humaines. Le péché originel vient d’un aveuglement à Dieu et d’un transfert de l’amour du Créateur à l’amour des créatures seules. Cet amour de soi est un détournement de la fonction première de l’amour qui est l’établissement d’un lien en Dieu. Il se joue exclusivement dans les pulsions, et purement terrestre, il s’ancre dans la matière du monde terrestre, chair, richesses et vanités [Amour de soi].


Rédaction

Camille Ambrosino et Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Camille Ambrosino et Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Amour » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 21 novembre 2024, https://ocmi.inha.fr/s/ocmi/item/768