Chair restaurée
Motif iconographique
Dans la considération chrétienne du corps, la chair occupe une place paradoxale : elle est le lieu d'incarnation du Christ en même temps que la source des péchés. La chair désignant autant une dimension du corps que sa matérialité, elle est donc ce que la spiritualisation du corps ferait disparaître et cela transparaît autant dans cette image que dans les écrits qui traitent de cette question.
D'une part, l'image exprime clairement l'origine matérielle des corps ressuscités avec l'image, au demeurant assez exceptionnelle, d'un ange déterrant des ossements. Les corps ressuscités apparaissent dans la partie centrale de l’image, d’où les damnés sont d’ores-et-déjà précipités dans la gueule de l’enfer tandis que les élus, groupés autour de l’archange Michel s’apprêtent à s'envoler, avec l’aide des anges (dans la marge supérieure gauche), vers le paradis. On constate alors qu'ils ont acquis les propriétés que Robert Grosseteste utilise pour désigner la perfection du corps sanctifié : impassibilité, clarté, agilité, subtilité.
En premier lieu, l'impassibilité, sorte de stase qui libère le corps de sa soumission aux passions et à la corruption, s’exprime dans la sérénité des élus, en contraste avec l'attitude contorsionnée et les expressions de terreur des damnés. L’idée de clarté des corps n’est pas figurée, mais l'agilité et la subtilité du corps, qui acquiert alors des propriétés qui sont d'ordinaire celles de l'âme, sont bien visibles. En effet, les élus s'élèvent et s'envolent quand les damnés chutent : le corps des premiers acquiert la subtilité de la substance de l'âme. De fait, la capacité à se mouvoir y est liée, cette agilitas dont l'âme serait dotée, permettant l'élévation des élus, libérés de la pesanteur terrestre. En effet, si du vivant de la personne le corps est « une motte de terre attachée à l'âme » (Ancrene Wisse, vers 1225), le corps ressuscité est caractérisé par la légèreté, la luminosité et, d'une certaine façon, une « incorporéité » qui le libère de sa pesanteur charnelle. L'image montre clairement que s'opère une transformation des corps matériels, maladroits et pesants (les ossements du bas de l'image) en corps tendant vers une abstraction désincarnée par leur réunion définitive avec l'âme.